Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ANULUS AUREUS

ANULUS AUREUS. L'anneau d'or était à Rome un ornement réservé par la coutume ou par les lois à une certaine catégorie de citoyens distingués de la masse du peuple par leur origine ou par leur condition. 1. Sous la république. Cet insigne paraît n'avoir appartenu d'abord qu'aux députés que le sénat choisissait dans son sein pour les envoyer en mission auprès des nations étrangères'; on le leur donnait pour rehausser l'éclat de leurs fonctions", et non ainsi que l'ont supposé plusieurs interprètes comme symbole de leur mission, ou pour sceller leurs dépêches. Ces anneaux d'or, ornés de pierres', leur étaient fournis par le peuple c'est-à-dire aux dépens du trésor public. Primitivement, ceux qui ANU ANU avaient reçu l'honneur tle cet anneau, purent le porter en public, après l'expiration de leur mission, mais non dans la vie privée ", où ils se servaient d'anneaux de fer comme les autres citoyens romains. 11 est vraisemblable a que cet usage fut usurpé par les autres patriciens, puis, selon le cours naturel de la vanité humaine, par les nobles [NuBILEs], c'està-dire par les agnats ou descendants par les mâles de magistrats curules [XIAGTSTIIATUS]. Plusieurs interprètes aussi' ont admis, d'après untmite de Pline, dont l'altération est aujourd'hui constante 10, que l'anneau d'or avait été en principe le privilége de tous les sénateurs en cette qualité [SENATUS]. Mais si certains textes li supposent que des sénateurs ont porté cet insigne, c'est qu'ils étaient eux-mêmes ou d'anciens legati, ou patriciens, ou nobiles; d'ailleurs ces textes parlent en même temps des chevaliers. Un passage de Tite-Live lserait plus probant, s'il n'y était question d'abandonner aussi les bulles elles anneaux d'or des enfants; ce qui suppose un insigne nobiliaire transmissible, à une époque où l'ordre sénatorial n'était pas constitué comme tel (en 539 de Rome ou 215 av. J.-C.). Pline dit aussi formellement u qu'au temps de Q. Servilius Caepio, questeur en 653 de Rome ou 101 av. J.-C., tous les sénateurs n'avaient pas encore l'anneau d'or. Ce privilége de la noblesse fut étendu à son tour par des usurpations successives It. Mais au ve siècle de Rome, elle l'exerçait encore avec ferveur. En cas de deuil public, comme à la nouvelle de la défaite des fourches Caudines, en 433 de Rome, ou 321 av. J.-C 1', ou en signe d'indignation, comme à l'occasion de la préture de l'ancien scribe Cn. Fias insu, en 415 de Rome, ou 306 av. J.-C., les nobles déposaient leur anneau d'or. Cet insigne était d'ailleurs enlevé aux indignes 14. Les chevaliers eux-mêmes n'avaient pas encore conquis ce privilége au ve siècle 18; mais il ne tarda point à être obtenu par la catégorie la plus voisine de la noblesse, celle des dixhuit centuries de la première classe, dont les membres étaient pourvus d'un chevalpublic(equites equo publico), ceux qu'on pouvait appeler juventutis proceres 19, et qui s'associaient en fait aux tendances et aux priviléges nobiliaires [EcUITES]. Ce changement était déjà opéré au vit siècle de home. Après la bataille de Cannes (538 de Rome ou 216 av. J.-C.), Magon" fit verser devant le sénat de Carthage trois boisseaux et demi remplis d'anneaux d'or enlevés aux principaux chevaliers romains (eoruna ipsorunl primoces), c'est-à-dire, suivant nous, aux equites equo publico; Plorus 71 ne parle que de deux boisseaux. En admettant môme cette version, plusieurs ont taxé les anciens d'exagération n; mais il y avait à Cannes 6.000 cavaliers romains qui périrent presque tous 23 et dont la moitié au moins ap manuscrits, effacer lus mots saoulas et ob co.-11lllo Ca:s. 5XXVI HI, -lv, Oros. IV, 16 ; Zona,. 1X, 1 ; Ikirchmann, De anulis, p. lia, cstreurt le droit danneau d or aux seuls nobles admis dans le sénat. 12 XXV I , 3 6 ; 1 ,I0m ,, Il, 6, 21 ' , Augut (/, 2. Dei, III, 19, soyez la discussion de Dachne, p. 13 et suiv. 13 Hist. nat. 'Fit. 7.iv-. Ep. 23, ne parle que d'un boisseau. y2 Becker. Dont. A11crt7. Il, 276, Pae5ne, p. 3, note 10 ; Lange, n, g 103, p.152, admet déjà que 1usage de l'anneau s eleiidait à tous les chevaliers, même publicains, et à leurs fils; G6ttling, Girscla. der ron 1. partenait aux dix-huit centuries 24; on peut admettre le nombre de 3,000 anneaux d'or comme vraisemblable, puisqu'on y pouvait renfermer ceux des nobles, sénateurs, patriciens et des legati, au delà desquels s'était étendu lepromiscuus usus (le cet insigne. La masse des anneaux appartenait à l'élite des chevaliers, formée des equites equo publico". On ne peut en dire autant des chevaliers equo privato merentes ; ils ne devaient pas faire partie de ces principes civitatis qui, en 583 de Rome ou 171 av. J,-C. déposèrent leurs anneaux d'or, après avoir vu condamner Claudius par huit centuries de chevaliers sur douze "6. Mais on doit présumer qu'individuellement ils s'attachèrent à se confondre extérieurement" avec les chevaliers proprement dits (trossuli). Eu outre, le général (imperatoi' ou proconsul) pouvait accorder l'anneau d'or pour services militaires éclatants" à des cavaliers, ou même à des scribes attachés à son état-major "9. Cela servit sans doute à faire étendre ce privilége à tous les chevaliers equo merentes. Les femmes, en dépit de la loi Oppia, se donnaient depuis longtemps le luxe d'anneaux d'or 30. Enfin, après la loi Sempronia Gnocchi, qui rangea parmi les juges °1 [JUDEX, .EDICIARIAE LEGES] tous ceux qui possédaient le cens de la première classe pour être sénateurs, c'est-à-dire 400,000 sesterces, l'ordre équestre fut légalement fondé, en 632 de Rome ou 122 av. J.-C. 2". La loi Roscia, en 687 de Rome ou 67 av. J.-C., avait reconnu aux chevaliers le droit de siéger au théâtre sur Ies quatorze premiers bancs après les sénateurs 33, Cependant la plupart des equites equo privato se contentèrent encore de l'anneau de fer °b. En revanche, les préteurs ou proconsuls, abusant de l'ancien usage prodiguaient cette distinction à des hommes qui n'avaient pas fait preuve de services éminents à la guerre. Cicéron reproche à Verrès d'en avoir gratifié son complice le scribe Maevius, dans une assemblée solennelle "S; l'orateur parodie ici spirituellement l'antique formule dont le préteur avait profané l'usage 31 Le dictateur Sylla Iui-même avait donné l'anneau d'or au comédien Il ()seins", le questeur Barbus à l'histrion Herennius Gallus". Cela supposait dès lors que le concessionnaire avait le cens équestre, ou que le donateur le lui procurait ~0. La donation entraînait tous les honneurs dus au titre de chevalier romain `I, notamment le droit de s'asseoir au théâtre sur les bancs des equites, le droit de siéger parmi les juges, etc. 11. Sous l'empire. Pline remarque ", à l'occasion de l'organisation par Auguste des décuries de juges, que la majeure partie de ceux-ci, à la différence des chevaliers equo publico, portaient encore l'anneau de fer. Mais, à l'épi 29 XLIII, 16. 27 Becker, 11, 275 ; Baehne, p. 12. 38 Suct. Cirea. 33, 39 ; Aeron. Ad FIssat. S¢tr. 11, 7 33 ➢. icehat equ tihus rmnm,is mmuli1, msi 1 practuribus donati cuisent , aunulo e1 go ; lui.., r lurm quasi eques bonus a pr.1,10, . n ruish, 29 Cie. l érr. III, 80. 39 Doebuo, p. 12. 31 Lang ,, 1l, p. S, 152, el â 132, p. 569. 322 Walter, Op. 1. uss 1,u ; L. Relut, Xint 11 ' chou. po, 11, p. 117 et suis.; Ala.quardt, H,,1. cgràt. p. 57. 33 Dio Cass. XXXI, '25; b-ell. Pat. II, 3 ;(e. 1ü,i1. II, 1/ lit. 1.is.L;,l. 90; Bel ot, HAt. d. h :. p. 355 et. s. XXX1V, G. 36 l'id. 0007. XIX, $_: Apud Romanos auuii de publie., dab.inlar et non s ,e discrimine. nau, dign tale I aec puis viMs gunumdi dil;u,to•, cseteris '.,liai. :In (aie. lier,. tn, 80, u. 187. 37 ]luehne, p. 36, 1, 12. 'e ahlit ainsi le lexte de la formule vraie : Quand., tu quidem in praolio, in bond, jure militari nunquam defuisti : mmlibusque in ibidem perieulis et in Iegalioue et in praetura et tom in provincia s,nsatus es : oh cas causas hoc anulo aire., te 811, 184, 186 ; Ilaehne, p. 27, n. 17 et 16. 41 Cie. Ad diuers. X, 32 : Tot euh, fuerant ordi ses equestris loci. V.2 Raid. usât. XXXIIL, 1, 7, § 30 ; cf. Daelme, p. 18 ; Cm,trù, Marquardt, Hist. reluit. p. 86, n. 2 ; 'S aller, Gcsch. des rdus. .1011,15, ANU -298ANU que où écrivait Pline, tous ceux qui avaient le cens équestre possédaient l'anneau d'or; c'est que l'usurpation par les riches u avait, comme précédemment, fait légaliser l'usage. Le volume même de l'anneau variait au gré du caprice et de l'opulence b4. Suivant Zumpt 45, la règle aurait été établie en faveur des chevaliers en général sous Auguste ; mais, d'après Rudorff 45, la seconde décurie de juges aurait seule eu l'anulus auteus à cette époque, et aurait été formée des anciens equites anulo aureo, par opposition à la première décurie des selecti, composée de sénateurs. Bien que nous croyions avec Walter " que ce dernier système soit très contestable, il est probable que c'est sous Tibère seulement que le jus anuli aurei fut attribué à tous les chevaliers 46. Mais la transition avait été ménagée depuis la chute de la république. Jules César éleva au rang équestre, en les dotant sur la caisse militaire, les centurions primipilares u ; il donna l'anneau d'or à Laberius pour prix de son entrée sur la scène 50. Les empereurs, en vertu de leur pouvoir proconsulaire (ireperium proconsulare), usèrent aussi du droit qu'avaient eu les généraux et les gouverneurs de province, pour concéder l'anneau d'or à des citoyens ayant le cens équestre ; ils n'en abusèrent pas d'abord, parce que, d'une part, ils voulaient ne pas prodiguer les droits des chevaliers, et parce que, d'autre part, les ingénus riches ne tenaient pas trop à l'anneau que chacun usurpait dans la pratique 51. Mais les affranchis sollicitaient beaucoup cette faveur, qui renfermait implicitement les avantages de l'ingénuité. Octave accorda la dignité équestre avec l'anneau à titre de récompense à Vinius Philopoemen, à Ménas, l'affranchi de Sextus Pompée, à son médecin Antonius Musa, à Vedius Pollio 53. Les affranchis opulents continuant leurs entreprises ou leurs brigues, un sénatus-consulte fut rendu sous Tibère, en 23 ap. J.-C., ou 776 de Rome 5°, pour mettre un terme aux abus. Nul ne put avoir l'anneau d'or s'il n'était ingénu ainsi que son père et son aïeul paternel 54, s'il ne possédait le cens de 400 mille sesterces (environ 400 mille francs), et n'avait le droit de siéger sur les quatorze bancs réservés aux chevaliers par la loi Julia theatralis; néanmoins on n'exigeait pas le même cens chez les ascendants 55. Mais le chevalier qui perdait le cens était exclu du jus aurei anuli" , et l'on appliquait la même règle à ceux qui encouraient l'infamie ou commettaient un acte déshonorant 57. Sous le règne de Tibère, une loi Visellia 56, portée en 777 de Rome ou 24 ap. J.-C., punit en outre les affranchis qui usurpaient les prérogatives de l'ingénuité. Cette même loi 59 donnait aux Latins [LATINITAS] un moyen d'acquérir la cité romaine, en servant dans les gardes de Rome [VIGILES] pendant six ans. Mais les abus continuèrent, et les empereurs eux-mêmes accordèrent le droit d'anneau d'or à une foule d'affranchis indignes 6°. Pallas, qui avait reçu le titre de praetorius, fut même invité par le sénat à faire usage de son droit d'anneau d'or 61 ; il fut attribué entre autres aux affranchis Icelus 52, Asiaticus 63, Hermas 64, Claudius et Ruscus, sous Vespasien lui-même 65 ; Crispinus fut prince des chevaliers 66. S'il est douteux qu'ils reçurent par cela même l'equus publicus R7, il est certain que le prince complétait parfois le cens équestre du gratifié 66, et lui conférait un nom nouveau 69. Quelques empereurs réprimèrent encore les violations du sénatus-consulte de Tibère. Ainsi, au temps de la censure de Claude 70, le chevalier Flavius Proculus lui déféra quatre cents faux chevaliers pour port illégal de l'anneau d'or. Le prince confisqua leurs biens 71; Domitien écarta des bancs des chevaliers ceux qui n'avaient pas le cens équestre " ; les inspecteurs s'efforçaient de bannir les intrus, mais en vain 73. Trajan, vers la fin de son règne, ordonna de réserver la dignité équestre et les quatorze bancs du théâtre à ceux qui avaient reçu l'equus publicus". Cette réaction aurait dépassé le but, ou elle ne fut pas relative au jus anuli aurez.; car l'abus de l'anneau d'or fut tel 75, qu'il ne devint plus que le signe de l'ingénuité réelle ou fictive. Cette révolution est opérée déjà sous Hadrien, qui la constate dans un rescrit 76 sur les effets de la concession du jus anuli aurei; elle donne désormais au titulaire l'ingénuité, sauf les droits du patron, dont il prend le nom et la tribu 77. En même temps l'ordre équestre perd peu à peu son éclat et son caractère particuliers, jusqu'à ce qu'il disparaisse sous Constantin 76. L'anneau d'or procure, avec l'ingénuité, l'aptitude aux honneurs, mais l'exemption de la torture n'appartenait qu'aux chevaliers 79. Septime-Sévère, en 197 de J.-C., et plus tard Aurélien donnèrent le droit d'anneau d'or à tous les soldats 80. Antérieurement, le primipilat entraînait le cens et l'anneau de chevalier pour les centurions qui en étaient revêtus st. Vers 211 ou 242, le même avantage était concédé aux centurions ordinaires et même aux optiones des légions, et leur collége leur donnait, à l'occasion d'un voyage dans l'intérêt commun ou de leur retraite, une gratification appelée anularia, suivant l'opinion de M. Mommsen 8'. Mais, en dehors de ces cas exceptionnels et de ceux où le chevalier obtenait l'equus publicus, désormais la concession du jus anuli ne conféra plus le rang équestre, mais seulement celui d'ingénu. Elle n'avait point lieu du reste sans le consentement du patron, sous peine de déchéance S5, et n'amoindrissait en rien les droits du patron APA 299 APA [PATRONUS] , non-seulement aux respects (obsequia, reverentia) mais encore les droits pécuniaires, par exemple sur la succession de l'affranchi", qui à sa mort était, sous ce rapport, encore réputé libertus. Son état n'était donc qu'une image de la liberté". Septime-Sévère et Antonin Caracalla, dans un rescrit, avaient déclaré que l'anneau d'or augmentait l'honneur du concessionnaire sans changer essentiellement sa condition P1. Aussi l'on avait décidé qu'il pouvait être mis à la question, en cas de mort violente du patron B3, On imagina donc un acte plus avantageux, la restitution de l'ingénuité, comme si elle eût été originelle (natalium restitutio). Opérée par le prince avec le consentement du patron, elle éteignait le droit de patronage 8e,. Cette fiction existait déjà du temps de Q. Cervidius Scaevola "°, conseiller de Marc-Aurèle, et qui vivait encore sous Commode et Septime-Sévère, c'est-à-dire de 193 à 211 de J.-C. Justinien, en 529 91, permit à l'affranchissant lui-même de libérer, par une déclaration formelle, l'affranchi des droits de patronage, sauf les règles relatives aux obsequia et à l'ingratitude, par une assimilation imparfaite à la natalis restitutio. Le même prince avait, en 530 °1, déclaré citoyens toutes les classes d'affranchis, en abolissant les Latins Juniens, et les déditices [LIBERTUS]. Il semble aller plus loin, en 539, en décidant par une constitution nouvelle °S, que tout affranchissement régulier emporterait de droit les effets de la concession de l'anneau d'or et même ceux de la natalium restitutio 94; mais le consentement exprès du patron demeura exigé pour la perte des droits de patronage n, et cette renonciation elle-même ne produisait que l'effet restreint indiqué ci-dessus, sans porter atteinte à la reverentia due au patron et à l'ingrati actio. Mais, depuis cette époque, tous les hommes libres purent légalement porter l'anneau d'or, tandis qu'auparavant ils se servaient d'anneaux d'argent et les esclaves d'anneaux de fer93. G. HUMBERT.